La Morphologie Casuelle du Chawi
Author : Muhend MEZIANI
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1). Introduction
L’objet de cette étude est le phénomène de la morphologie casuelle du Berbère (Chawi). Cet aspect est analysé par Guerssel (1995) dans le parler berbère d’Ait Seghrouchen. Selon lui:1) “le Cas en Berbère doit être réalisé et représenté morphologiquement par un clitique ou par un Case-marker”. Guerssel (1995). Il a montré que le Cas datif et locatif sont réalisés comme Case-markers parfaits. Le Cas accusatif dans les constructions sans clitique est réalisé comme un Case-marker imparfait. Dans les constructions à clitique, les Cas accusatif et nominatif sont réalisés comme clitiques. Guerssel considère que dans les constructions à clitiques (accusatif et nominatif), les DPs réalisés sont en fait des types de clitic- doubling.
On remarque que cette analyse fait abstraction des clitiques qui apparaissent avec des Case-markers parfaits. Dans ce genre de constructions, l’analyse de Guerssel n’est pas très claire. Parce que, d’un côté, elle ne permet pas de savoir si le Cas est représenté morphologiquement par un Case-marker ou par un clitique. De l’autre, elle n’explique pas non plus le système casuel du Berbère d’une manière homogène. C’est pourquoi, j’aimerais proposer une analyse différente ayant l’avantage d’expliquer ce phénpmène d’une façon uniforme.
De cette manière, l’ analyse de Guerssel doit être reformulée partiellement comme dans (2).
(2) “Le Cas en Berbère doit être réalisé uniquement comme Case-marker.”
2. LE SYSTEME CASUEL DU BERBERE
Les syntagmes nominaux du Berbère apparaissent sous deux formes distinctes. Celles-ci sont appelées dans la littérature état libre (EL) et état Construit ou d’Annexion (EA). Le nom apparaît toujours dans différentes variétés du Berbère à:- La forme EL quand il est disloqué à gauche ou objet d’un verbe.- La la forme EA dans les constructions à clitic-doubling.
Avec les éléments tels que (“al”: jusque), (“mebla”: sans), (“sa”: à), (“gher”: chez), (“en”: son), le nom peut prendre la forme EL avec certains éléments et la forme EA avec d’autres. Ces éléments ne constituent pas une classe homogène vis à vis de cette alternance morphologique.
Chaker (1983), Ouhalla (1988) pensent que ces deux formes nominales ont une relation avec le Cas. Guerssel (1995) constate que le contraste n’est pas entre ces deux formes morphologiques mais plutôt entre deux types de Kase Phrases (KPs). Il a proposé que la forme EA est un DP complément d’un Case-marker parfait et EL est un KP imparfait. Ce dernier lui même, dans les constructions prépositionnelles, est complément d’une préposition réalisée ou nulle. Cette distinction qu’il fait entre EA et EL lui a permis de montrer que le Cas en Berbère doit être réalisé morphologiquement.
2.1 LA REALISATION MORPHOLOGIQUE DU CAS
Selon Guerssel, le Cas peut être représenté morphologiquement par un Case-marker ou par un clitique.
2. 1.1 Case-marker
Guerssel a proposé que le Cas est réalisé dans les propositions (3a et c) comme Case-marker parfait (“gher”: à) et (“es”: avec). Les constructions (3b et d) sont agrammaticales. Selon lui, l’agrammaticalité de (3b) s’explique par le fait que le Cas n’est pas réalisé morphologiquement. Tandis que dans (3d), le cas est réalisé deux fois: une fois comme Case-marker parfait (“es”: avec) et une fois comme Case-marker imparfait “a” dans (a-sfar).
(3)
a. rwel-x gher wjdir (Guerssel (1995:182))
fui-je jusque le falaise
J’ai fui jusque à la falaise
b. *rwel-x al wjdir (Guerssel (1995:178))
fui-je jusqu’à le falaise
J’ai fui jusque à la falaise
c. swi-x asfar es tghenjayt (Guerssel (1995:178))
bu-je médicament avec cuillère
j’ai bu un médicament avec une cuillère
d.*swi-x asfar es taghenjayt (Guerssel(1995:178))
bu-je médicament avec cuillère
j’ai bu un médicament avec une cuillère
Le Cas dans (4a) est réalisé comme Case-marker imparfait “a”dans (a-mcic). Par contre dans (4b) il n’est pas réalisé d’où l’agrammaticalité de cette construction.
(4)
a. wala-gh amcic (Guerssel (1995: 193))
vu-je chat
j’ai vu un chat
b. *wala-gh wemcic Guerssel (1995: 193))
vu-je chat
j’ai vu un chat
Dans la construction (6a) le Cas est réalisé comme Case-marker imparfait ”a” dans (a-mcic). Tandis que dans (6b), il est réalisé comme clitique “t”: le, selon Guerssel. Le nom (wemcic) dans cette construction prend la forme EA qui est un DP. La construction (6c) est agrammaticale parce que le Cas est réalisé deux fois: comme clitique “t” et comme Case-marker imparfait “a” dans (a-mcic).
3. LE PROBLEME
Suivant l’analyse de Guerssel, les constructions (7) devraient être agrammaticales. Car le Cas est réalisé deux fois: comme clitiques “k°emt”: vous (fém) et “sent”: leur ( fém)) et comme Case-marker (“gher”: chez et “en”: leur). Or, celles-ci sont tout à fait grammaticales.
(7)
a. qqim-gh gher k°emt
resté-je chez-vous (fém)
Je suis resté chez vous.
b. haddarø en sent
maison de leur
leur maison
Comme on peut remarquer dans (7), le Case-marker peut apparaître avec un clitique sans que la construction soit agrammaticale. Dans ce genre de constructions, l’analyse de Guerssel ne permet pas de savoir si le Cas est réalisé comme clitique ou comme Case-marker. Face à cette difficulté peut-on considérer que le Cas en Berbère doit être réalisé comme Case-marker ou comme clitique?
3.1 Case-marker OU CLITIQUE?
Les constructions (7) contiennent les case- markers (gher, es, en). Chacun de ces éléments sélectionne un nom à la forme EA qui est un DP. Les noms (we∂rar, heddarø et weryaz) sont respectivement compléments des têtes casuelles suivantes: locatives: (gher et si) et génitive: (en). Le nom (a∂bir) dans la construction (8d) est complément du verbe (mna∂). On remarque aussi que ce nom est à la forme EL. Je soutiens l’idée de Guerssel (1995) stipulant que la forme EL est un KP avec un Case-marker imparfait.
(8)
a. y- uyir gher we∂rar
3ms allé à montagne
Il est allé à la montagne
b. y- erya si heddarø
3ms-sorti de maison
Il est sorti de la maison
c. fus en weryaz
main de homme
La main de l’homme
d. y- emna∂ a∂bir
3ms- vu pigeon
Il a vu un pigeon
Je considère que le Cas locatif est réalisé comme Case-markers parfaits (gher et si) dans (8a et b), le Cas génitif est réalisé comme Case-marker parfait (en) dans (8c). Cependant le Cas accusatif est réalisé comme Case-marker imparfait ( “a” initiale du nom “a-∂bir”) dans (8d). Le Cas est réalisé comme Case-marker parfait ou imparfait dans les constructions (8).
Cependant dans les constructions à clitiques (9), le problème de la morphologie casuelle demeure encore sans réponse. Dans ces constructions, on remarque la présence des éléments supposés être la réalisation morphologique du Cas, à savoir les Case-markers parfaits (gher, si et en) et les clitiques (wen, ik° et es). Si on considère avec Guerssel que le Cas est réalisé deux fois, ces constructions devraient être malformées. Or, celles-ci sont tout à fait grammaticales.
(9)
a. y- uyir gher- wen
3ms allé à vous
Il est allé chez vous
b. ye- zêel si ik°
3ms-fâché de toi
Il s’est fâché de toi
c. ifassen en- es
mains de toi
tes mains
Admettons que le Cas, dans ces constructions, est réalisé comme Case-markers parfaits (gher, si et n). Les clitiques (wen, s et k) sont des compléments de ces têtes casuelles. La réalisation morphologique des Case-markers dans les constructions (9) nous a permis de supposer que le Cas est réalisé comme Case-marker. Or dans les constructions (10), seulement les clitiques (awen, ak, im et iø) sont réalisés morphologiquement. De cette manière doit-on considérer que le Cas dans (10a, b, c et d) est réalisé comme clitique? Avant de répondre à cette question, observons la forme des clitiques dans les constructions (9) et (10).
(10)
a. uci- gh awen aghrom
donné-je vous pain
Je vous ai donné du pain
b. uci- gh ak aghrom
donné-je te pain
Je t’ai donné du pain
c ifassen im
mains toi
Tes mains
d. ye- mna∂- iø
il- vu- le
Il l’a vu
Dans les constructions (9), chacun des Case-markers (gher, si et n) a un clitique comme complément (wen, k et s). Ces clitiques apparaissent sous la forme suivante: case- marker parfait + clitique (gher+wen, si+k et n+s). Cependant dans les constructions (10), la forme des clitiques est différente: (a/i+clitique (a+wen, a+k, i+m et i+ø)). Cette constatation nous permet de distinguer deux types de clitiques en Berbère: ceux qui apparaissent avec des Case-markers parfaits et ceux qui apparaissent attachés aux éléments (a/i). Considérons les premiers comme clitiques simples et les seconds comme clitiques complexes. De ce point de vue, ils se comportent comme les noms en ayant deux formes. La forme simple des clitiques est similaire à la forme d’annexion des noms. La forme complexe des clitiques est similaire à la forme libre des noms. Guerssel a analysé la forme libre des noms comme étant un KP imparfait. Il a montré que celle-ci est composée d’un Case-marker imparfait (a) qu’on rencontre à l’initiale des noms masculins et d’un nom (a+nom). Cette analyse peut être généralisée au niveau des clitiques. On remarque dans les constructions (11) que les clitiques datifs (-wen et -k) dans (11a et b) sont gouvernés par le Case-marker imparfait (a) et dans (11c et d), le clitique génitif (-m) et l’accusatif (-ø) sont gouvernés par le Case-marker imparfait (i).
(11)
a. uci- gh a- wen aghrom
donné-je vous pain
Je vous ai donné du pain
b. uci- gh a- k
donné-je te
Je t’ai donné
c ifassen i- m
mains toi
Tes mains
d. ye- mna∂- i-ø
il- vu- le
Il l’a vu
L’extension aux clitiques de l’explication de Guerssel relative à la forme libre des noms, nous a permis de montrer que le Cas (datif, génitif et accusatif) est réalisé comme Case-marker et non pas comme clitique. Les constructions (12) nous offrent un autre argument en faveur de l’hypothèse dans (2) stipulant que le Cas en Berbère doit toujours être réalisé et représenté par un Case-marker.
(12)
a. *qqim-gh gher a-kemt
resté-je chez- vous (fém)
Je suis resté chez vous
b. *haddarø en i-m
maison de ta
a maison
c . *ifassen sent
mains elles
Leurs mains
d. *ye- mna∂- ø
il- vu- le
Il l’a vu
Toutes les constructions dans (12) sont agrammaticales. L’agrammaticalité de (12a et b) s’explique par le fait que le Cas est réalisé deux fois: comme Case-marker parfait et imparfait (gher/a et n/i). Les constructions (12c et d) devraient être grammaticales car le cas est réalisé comme clitique selon la proposition de Guerssel (1995). Or, ces dernières sont agrammaticales. Dans ces constructions le Cas n’est pas réalisé morphologiquement. C’est pour cette raison que celles-ci sont agrammaticales.
4. CONCLUSION
Le cas en Berbère doit toujours être représenté morphologiquement par un Case marker. Le Berbère comporte deux types de Case-markers: les parfaits et les imparfaits. Les Case-markers parfaits sélectionnent soit des noms à la forme annexée soit des clitiques à la forme simple. Les Case-markers imparfaits sélectionnent des noms à la forme libre ou des clitiques. Ils forment avec leurs compléments (nom ou clitique) des unités complexes composée de Case-marker imparfait plus nom/clitique
Ainsi dans les constructions sans clitiques, le Cas (datif, locatif et génitif) est réalisé comme Case-marker parfait de type (gher, i et en). Le Cas accusatif est toujours réalisé comme Case-marker imparfait “a” qu’on rencontre à l’initiale des noms masculins. Dans les constructions à clitique, le Cas est représenté morphologiquement par un Case-marker parfait ou imparfait.
REFERENCES
Chaker, S., 1983: Le parler berbère d’Algérie (Kabylie): syntaxe.Thèse de doctorat d’Etat. Université de Provence, France.
Guerssel, M., 1992: On the case system of Berber. Canadian Journal of linguistics 37.
Guerssel, M., 1995: Berber clitic doubling and syntactic extraction. Revue québécoise de linguistique, volume 24 n°1. Université du Québec à Montréal.
Ouhalla, J., 1989. Clitic Movement and The ECP: Evidence from Berber and Romance Languages. North Holland
Ouhalla, J., 1988: The syntax of head movment a study of Berber. Thèse de Ph.D. University college, London.
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