Sunday, September 17, 2006

Sur la toponymie berbere et specialement sur la toponymie Chaouia des Ait Frah

By André BASSET

Source : Onomastica, pp. 123-126(1948)
Reproduced in ayamun
With our thanks to Amar of ayamun!

En dehors de l'unique ouvrage spécial, le Dictionnaire abrégé touareg-français des noms propres du Père de Foucauld, que j'ai présenté au premier congrès de toponymie et d'anthroponymie, il y a beaucoup à glaner dans les ouvrages les plus divers, en particulier dans ceux des géographes : témoin l'étude de M. Laoust sur les noms de lieux relevés par M. Dresch dans sa thèse sur le haut Atlas marocain. Mais il existe surtout une documentation particulièrement riche et intéressante qui nous est fournie par les cartes éditées pour l'ensemble de l'Afrique du Nord et le Sahara par le Service géographique de l'armée, puis par l'Institut national géographique. Je pen­sais que les minutes offriraient encore des données supplémentaires inédites, mais il n'en est, paraît-il, rien. Peut-être enfin des plans locaux, communaux ou analogues, dans la mesure où il en existe, pourraient apporter leur utile contribution.

Quoi qu'il en soit de cette documentation, elle n'épuise certainement pas le sujet. D'autre part, elle est viciée du point de vue scientifique par les préoccupations étrangères aux nôtres qui ont présidé à sa collecte et par l'inadaptation des collecteurs à recueillir correctement : la communication de M. Picard, à propos du petit coin des Irdjen de Kabylie, en est, entre autres, un témoignage probant.

Aussi, depuis longtemps déjà, ai-je tenté de faire vérifier et compléter cette toponymie, dans un esprit strictement scientifique, par des gens qui me paraissaient particulièrement bien placés pour cela, vivant sur place et, de par leurs fonctions mêmes, appelés à voir surgir tout naturellement les moindres noms de lieux-dits.

C'est ainsi qu'il y a quelques années, un juge de paix d'Azazga, ayant eu la velléité de s'intéresser au berbère, je lui avais signalé ce genre de travail, pensant qu'au cours de ses instructions, car les juges de paix d'Algérie ont à faire des instructions au criminel, il aurait besoin professionnellement, pour préciser certains détails, de recourir à une toponymie rigoureuse et strictement localisée. Mais en Algérie les juges de paix ne font généralement que passer : celui dont il s'agit, a quitté rapidement Azazga et la tentative a avorté.

Plus récemment, j'avais demandé à un officier des Affaires militaires musulmanes d'en faire autant pour le secteur de Djanet Mais il a dû brusquement être rapatrié pour maladie et si son séjour a été des plus profitables par ailleurs - il nous a donné une riche nomenclature des variétés de palmiers de Djanet - sur ce point, nous ne lui devons que la connaissance d'un nom de jardin, au hasard d'une poésie.

Mais je n'ai pas eu que des déboires.

j'ai ici même, faisant partie d'un travail encore inédit de M. Pellat, un croquis de la région des Ait Seghrouchen du sud, sur la Moulouya, qui nous assure d'une bonne graphie des noms des villages de la région. Vous allez entendre la communication de M. Picard qui, sans prétendre être exhaustive - l'enquête est encore en cours - améliore déjà considérablement notre connaissance du petit coin des Irdjen dans la confédération des Ait Iraten de Kabylie. Enfin j'ai suggéré à mon répétiteur de l'Ecole des Langues Orien­tales, M. Nezzal, de faire, au cours de ses deux derniers séjours dans son pays, les Chaouia Ait Frah', un relevé toponymique aussi poussé que possible.

J'aurais voulu vous parler aujourd'hui tout spécialement de cette der­nière enquête. Mais le temps m'a manqué et des quelque 300 noms qu'il a déjà recueillis et que j'ai retranscrits sous sa dictée, c'est à peine si j'ai pu en examiner avec lui une quarantaine, et encore sommairement : aussi sont-ce non des conclusions que je vous apporte, mais l'annonce d'un travail en cours.

Néanmoins, du travail déjà effectué, je détacherai, à titre indicatif, les quelques remarques suivantes.

En très grand nombre, ces noms sont immédiatement intelligibles pour le sujet parlant. C'est assurément qu'il en est de tout récents : nous en avons le témoignage très net, au moins pour l'un d'eux, fonction de l'installation des autorités françaises. Mais cela ne veut pas dire que, parmi ces termes intelligibles, il n'en soit pas d'anciens. Nous devons compter en effet, en Berbérie, avec la très grande stabilité de la langue depuis des temps lointains, réserve aite du problème lexicographique, stabilité qui nous est prouvée, pour une autre région, par des textes du XIIe siècle de notre ère. Il s'ensuit qu'à défaut, pratiquement, de documents, il nous est difficile, et même impossible,, de dater, même relativement, les toponymes par le seul examen interne, déduc­tion faite de deux ou trois grands faits comme celui de la première introduc­tion de l'arabe en Afrique du Nord.

Etant donné le morcellement morphologique et phonétique d'une langue qui n'existe que sous la forme de parlers, ces termes pourraient être intelli­gibles sans recouvrir exactement la variante locale de la langue usuelle. Cela nous permettrait, soit de déceler un substrat - recouvrement d'un groupe­ment par un autre groupement et d'un parler par un autre parler -, soit de reconnaître une évolution dans un même parler, le nom propre, bien que toujours compris, ayant acquis assez d'autonomie et assez de rigidité pour échapper à l'évolution ambiante. Or il ne semble pas que nous ayons beau­coup à espérer de ce côté, soit que, substrat compris, il ait été ramené à la forme linguistique du parler, soit que, parallèlement et pour les mêmes rai­sons, mais, plus vraisemblablement encore, parce que non détaché de la langue usuelle, il ait participé à l'évolution de celle-ci. Tout ceci, naturellement, dans la mesure où l'un quelconque de ces noms se trouverait être antérieur


TOPONYMIE DES AIT FRAH'

aux formes actuelles du parler local qui peuvent être très anciennes. A titre d'exemple, je signalerai que le parler, tel que nous le connaissons, perdant la voyelle initiale du nom dans certaines conditions déterminées et sous cer­taines réserves, la liste acquise des toponymes reproduit les mêmes mots, dans les mêmes conditions, sans la voyelle initiale : ma/tf, sommer,tfaut, tsaimt, etc...

Un problème capital dans l'Afrique du Nord est celui de l'arabisation et des modalités de l'arabisation. Or notre liste est déjà riche de noms arabes non berbérisés : s's'ttr, elh'uch, leqs'er, etc. Certains ont fort bien pu être introduits par des éléments administratifs et militaires de langue arabe, par exemple leqs'er, bien que M. Nezzal n'ait pu m'en indiquer l'origine.
Mais la masse vient assurément de ce que le parler, et depuis longtemps déjà évidem­ment, est envahi de mots arabes non berbérisés. Ainsi donc l'arabisation par­tielle de la toponymie est loin de supposer nécessairement un substrat ara­bophone. L'observation, dans le cas présent, est si évidente qu'il peut paraître superflu d'y insister, mais il se pourrait que, dans des cas infiniment plus obscurs, elle soit susceptible de remettre en question des déductions parfois considérées comme acquises. D'autre part, si le berbère doit disparaître intégralement devant l'arabe, - et là où il a déjà disparu -, non point seulement par évolution linguistique interne des sujets parlants, mais aussi par superposition d'éléments arabophones à des populations berbérophones, l'arabisation de la toponymie peut précéder ou avoir précédé, et de beaucoup, le point critique du changement de langue. Ceci également mérite d'être retenu.

Dans l'amorce d'examen à laquelle j'ai procédé avec M. Nezzal, je me suis particulièrement attaché aux termes qui lui paraissaient étrangers au parler local actuel, soit indigence personnelle, soit qu'effectivement ils y soient inusités. Sur la quarantaine de termes examinés, j'en ai relevé trois, et je sais qu'il en est d'autres encore, dont d'autres parlers me donnent le sens. Ces trois termes sont : asrir défini par Foucauld (Dict. ab. touareg-franç.,t. II, p. 620) « terrain plat dur et stérile, couvert de petits cailloux sans grosses pierres, roches ni végétation (de dimension quelconque) », taurirt, bien connu au sens de colline, d'un certain type de colline, agelmam et son féminin-diminutif pi. tigelmamin, également connu au sens de lac. On peut penser qu'il s'agit dans les trois cas du renouvellement lexicographique du parler même bien plus vraisemblablement que de substrat : au demeurant la variante représentée par agelmam, à côté de laquelle existe ailleurs agehnim, répond a tout le moins au phonétisme du parler. Si M. Nezzal ne nous a pas précisé les caractères des endroits appelés asrir et taurirt, ce qu'il nous a dit 'de tigelmamin est particulièrement instructif : c'est un lieu de cultures ; on com­prend dès lors : dans cette région, déjà quasi saharienne, où il n'y a pas de lac, au moins dans un certain périmètre, le nom de la pièce d'eau est passé à celui d'un coin de terre particulièrement apte à garder l'humidité du sol et, partant, particulièrement propice aux cultures.

Et nous terminerons sur une dernière observation. Il y a déjà longtemps que j'ai remarqué que si, en touareg lui-même, tit' « l'oeil » et « la source * comporte un t' (emphatique) (Foucauld, Dict. ab. touareg-franç., 1.1, p. 175), le toponyme ahaggar lit, inexpliqué, est sans emphatique (Foucauld, Dict. ab. Touareg-français des noms propres, p. 259). Or, à plusieurs reprises, dans la toponymie Ait Frah', titt esj: apparu, et toujours sans emphatique, comme j'ai bien pris soin de le vérifier : titt eny-iran, titt en-tidit, etc. Bien que je n'aie point encore étudié ces noms avec M.NezzaI, partant, sous réserve de vérifi­cation, j'ai l'impression que titt signifie ici « la source » : « la source des lions », « la source de la chienne », etc. S'il en est bien ainsi, serait-ce qu'il y a eu dans le toponyme une désempfiatisation que l'on ne s'explique d'ailleurs pas, ou serait-ce encore que titt «source», différent à l'origine de tit't' «oil», aurait été absorbé par lui, titt, sans emphase, ne survivant çà et là qu'en topo­nyme.

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