Wednesday, June 28, 2006

Introduction au conte chawi

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Introduction au conte chawi

By Muhend Meziani

Certaines familles de paysans éleveurs de l’Aurès quittent les campagnes après que le labour de la terre ait pris fin et que la neige fait son apparition sur les sommets. Elles fuient le climat sec qui devient de plus en plus froid et entament leur transhumance en quête du pâturage et de la chaleur. C’est ainsi que ces dernières se retrouvent à l’orée du désert où elles passent l’hiver. A cette période de l’année, les nuits deviennent de plus en plus longues. C’est pour cela qu’elles organisent des soirées durant lesquelles elles se rassemblent pour écouter de nouveaux récits reflétant leurs soucis et leurs espoirs.

Chez les Chawis, la transmission de l’expérience humaine se fait de bouche à oreille comme dans les autres sociétés à littérature orale. Plusieurs de ces formes littéraires se conjuguent pour assurer cette fonction. Le conte est l’une de ces formes efficaces qui se transmet d’une génération à une autre sans qu’il ait besoin d'être écrit. Petits et grands attendent avec impatience ces nuits hivernales qui refusent de tomber dans l’oubli. Elles servent de point de liaison entre un passé plus au moins connu et un présent chargé d’espoir de prémices des lendemains qui chantent. Ils se dépêchent donc, pour être au rendez-vous des aïeux et jouir d’agréables moments qu’ils passent autour des conteurs qui ouvrent grande les portes à un univers où les rôles hommes/femmes s’inversent et où les secrets les plus protégés de cette société se dévoilent.

Les contes sont destinés à deux types d’individus: les enfants et les adultes. Les contes pour enfants ont lieu dans la pièce commune.La soirée commence généralement au moment où le père s’enveloppe dans son burnous et la mère prend place derrière le métier à tisser. On aperçoit sa silhouette à travers d’innombrables files et entre deux ensouples horizontalement placées. Alors que la grand-mère rassemble ses petits-enfants autour d’elle afin de permettre à sa belle fille de travailler tranquillement. C’est à partir de ce moment que les enfants prient leur grand-mère de leur dire un conte. Celle-ci se fait prier avant de répondre à leur demande.

Dès qu’elle prononce la formule immuable d’ouverture1 , les enfants se taisent et écoutent attentivement. Ils se voient eux-mêmes acteurs en s’identifiant au héros.Tristes et envahis par une angoisse lorsque le héros tombe entre les mains de l’ogresse. Joyeux quand Êli izerzer échappe à la mort et Dbira saine et sauve avec ses deux garçons et le roi décide de punir les femmes méchantes. Comme à l’ouverture, la conte chawi se termine aussi par une formule immuable de la clôture2 . L’enfant retrouve enfin l’espoir perdu, Nanna3 encore un autre.

Le conte pour adultes est dit chez une famille ayant une maison spacieuse pour permettre aux autres familles voisines, amies et proches de former le temps d’une nuit une seule et grande famille. Elles se retrouvent exceptionnellement dans d’autres familles où un événement inattendu est survenu : naissance, maladie ou décès.

La soirée qui réunit plusieurs familles prend un aspect de fête. C’est aussi un certain nombre de préparatifs sont nécessaires. La mère se hâte pour terminer sa besogne afin de pouvoir étendre de très larges nattes par terre et accueillir les veilleurs. L’ambiance change de ton et de rythme et prend une autre dimension. Le nombre de personnes augmente, les voix et les cris des enfants se mêlent et se multiplient créant ainsi une superbe ambiance.

Les hommes comme les femmes échangent quelques propos et entament des discussions de divers ordres. Les femmes se communiquent les soucis du quotidien et les dernières nouvelles des proches. Une fois que toutes les familles ayant l’habitude d’être présentes à la veillée sont arrivées, un plat de dattes est servi. L’assistance commence à manger et à discuter. C’est à cet instant que la soirée commence, elle ne se déclenche jamais seule mais très souvent par une femme connue de son audace. Une petite introduction faisant allusion au silence et à la discipline suffit pour que l’ouverture soit annoncée. Tous les regards sont dirigés vers la conteuse habituelle. Toute l’assistance l’attend. “ Je ne sais quoi raconter, leur dit elle, ma vie même est un conte”. En prononçant la formule immuable d’ouverture et un silence total s’installe. Chacun suit attentivement les aventures des héros.

Dans un premier temps, la conteuse raconte des contes relativement courts, dont les personnages sont de deux natures: humaine et animale. La thématique est très variée: on trouve de la ruse, de la sagesse, de la logique etc... Ces contes sont probablement destinés exclusivement aux enfants dans un but éducatif. Graduellement, les contes deviennent de plus en plus longs et les intrigues se complexifient davantage. Les enfants n’arrivent pas à suivre et plongent dans leur propre monde jusqu’à ce qu’ils s’endorment.

La conteuse marque une pause de quelques minutes afin de reprendre son souffle. Elle se prépare à aborder la deuxième étape de la veillée. Pendant ce temps de pause les mamans enlèvent leurs enfants pour laisser de la place aux adultes. Ils se mettent autour du grand feu, femmes et hommes confondus.

Une fois que chacun ait une place autour du feu, la conteuse élève la voix et l’assistance se tait. Elle commence à séduire et à fasciner tout le monde par un nouveau conte. Certains découvrent pour la première fois les aventures d’un fils du roi au pays de “Lweqwaq”4 ou d’une femme colombe fille du roi des esprits. L’amour et la haine se conjuguent, conscience et inconscience s’affrontent dans un monde où l’impossible n’a point de place. Tout se réalise, il suffit de prendre l’initiative. Avec un tapis on peut parcourir le monde et avec une même clé on peut ouvrir toutes les portes.

A travers le conte on inculque à l’enfant dès sa tendre enfance que le bien arrive souvent à vaincre le mal, le bon est récompensé et le méchant est puni. La patience et l’espoir sont deux éléments indispensables dans la vie. On le prépare en quelque sorte à affronter les problèmes que l’avenir lui réserve. On le responsabilise pour lui faire assumer ses tâches. On lui fait connaître l’amertume de l’injustice pour bien la combattre.

Chez l’adulte le conte est non seulement un moyen de distraction mais aussi une forme de sociabilisation. C’est pendant ces rencontres que les anciens liens se consolident et des nouvelles amitiés se tissent entre eux. A leur tour, ils se forment de certaines manières pour assurer la transmission de leur culture séculaire.
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1 - Cette formule d’ouverture “yeqqar awen yeqqar awen, yella wa yellan yuc anegh rèbbi ay yeh°lan” peut être traduite mot à mot ainsi: Il vous dit, il vous dit et que Dieu nous a donné du bien. Elle signifierait: je vous dirai le conte tel que je l’ai entendu et j’assume cela devant Dieu.
2 - La formule annonçant la fin du conte est la suivante: “huqqa heqsìt ur uqqin yir∂en et temzìn: le conte est fini sans que l’orge et le blé soient épuisés”.
3 - Nanna: grand-mère.
4 - Lweqwaq: c’est un royaume où on entend toutes les créatures disent weqwaq.

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